UN ARTISTE DEMANDE AU MUSEE NATIONAL DART MODERNE LA TRANSPARENCE SUR LE PRIX DE SES ACQUISITIONS.
Le contribuable est-il en droit de savoir le prix des oeuvres dart quun musée achète en son nom ?
Cette question est au centre dune bataille juridique menée depuis 1994, par lartiste Fred Forest contre le Musée national dart moderne (MNAM) du Centre Georges Pompidou.
Le premier invoque un légitime droit à linformation; le second, la protection, par le secret, dun secteur fragile - en loccurence, lart moderne et lart contemporain - trop souvent décrié à force darguments parfois démagogiques. Laffaire met en question la viabilité dun marché soutenu par les pouvoirs publics et la capacité du contribuable à obtenir des chiffres qui peuvent sembler vertigineux à beaucoup, sachant quune oeuvre dart contemporain peut largement dépasser 1 million de francs.
Le conflit a surgi en 1994. Se réclamant de la loi de 1978 sur la transparence de la comptabilité publique, Fred Forest demande à quel prix le Musée national dart moderne a acheté une oeuvre de Hans Haacke, Shapolski 1971. Incité à répondre par la Commission daccès aux documents administratifs (CADA), le MNAM séxécute, déclarant avoir acheté 1,2 million de francs cette oeuvre à la galerie Françoise Lambert, de Milan.
Mais, dans une lettre adressée au président de la CADA, Germain Viatte, directeur du MNAM, explique pourquoi les acquisitions doivent se faire dans la discrétion: « Il y a quelques années une oeuvre capitale de Barnett Newman a été détruite dans un musée allemand par un acte de vandalisme, consécutif à la publication dans la presse du prix dacquisition du tableau. » Excès de pouvoir.
Fred Forest ne se contente pas de cette victoire, et demande le prix de toutes les oeuvres achetées par le MNAM depuis 1985. Le musée refuse. Lartiste saisit alors le tribunal administratif. Le musée invoque un article de la loi de 1978 qui stipule quune administration peut refuser cette demande dans le cas où la « consultation ou la communication porterait atteinte au secret en matière industrielle et commerciale ». Le tribunal administratif balaie largument et annule, pour excès de pouvoir le refus du musée dans un jugement du 7 juillet 1995.
Inquiet le Centre Georges-Pompidou demande aujourdhui au Conseil dEtat de casser cette décision et développe ses arguments: un arrêté du ministère de la culture de 1980 stipule que « les documents relatifs à lacquisition à titre onéreux ou à la commande doeuvres et dobjets dart » peuvent ne pas être communiqués.
En fait, les musées avouent acheter « à des prix priviliégiés ». Divulguer leurs transactions pourrait déstabiliser un marché de lart mal en point. « Le MNAM achète souvent trop cher, non pas au meilleur moment, mais au plus fort de la cote, réplique Fred Forest. Publier les prix linciterait à se sentir plus responsable. Transparence oblige, lartiste a ouvert sur Internet un site consacré à ce procès. Le jugement du Conseil dEtat interviendra le 17 février.
Lors de laudience du 15 janvier le Commissaire du gouvernement, tout en rejetant nombre darguments du Centre Georges -Pompidou a mis en avant les « spécificités du marché de lart contemporain, où, dautre part, le marché est particulièrement sensible aux stratégies dachat des opérateurs publics ». Doù sa conclusion, clairement en faveur du musée: « Cette fragilité des cours, cette volatilité du marché par rapport aux initiatives des musées nous incite à préserver au titre du secret commercial la confidentialité des transactions »
Michel Guérin