Journal « LE MONDE » Edition du 8 Février 1997 (page 28).

UN ARTISTE DEMANDE AU MUSEE NATIONAL D’ART MODERNE LA TRANSPARENCE SUR LE PRIX DE SES ACQUISITIONS.

Le contribuable est-il en droit de savoir le prix des oeuvres d’art qu’un musée achète en son nom ?

Cette question est au centre d’une bataille juridique menée depuis 1994, par l’artiste Fred Forest contre le Musée national d’art moderne (MNAM) du Centre Georges Pompidou.

Le premier invoque un légitime droit à l’information; le second, la protection, par le secret, d’un secteur fragile - en l’occurence, l’art moderne et l’art contemporain - trop souvent décrié à force d’arguments parfois démagogiques. L’affaire met en question la viabilité d’un marché soutenu par les pouvoirs publics et la capacité du contribuable à obtenir des chiffres qui peuvent sembler vertigineux à beaucoup, sachant qu’une oeuvre d’art contemporain peut largement dépasser 1 million de francs.

Le conflit a surgi en 1994. Se réclamant de la loi de 1978 sur la transparence de la comptabilité publique, Fred Forest demande à quel prix le Musée national d’art moderne a acheté une oeuvre de Hans Haacke, Shapolski 1971. Incité à répondre par la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), le MNAM s’éxécute, déclarant avoir acheté 1,2 million de francs cette oeuvre à la galerie Françoise Lambert, de Milan.

Mais, dans une lettre adressée au président de la CADA, Germain Viatte, directeur du MNAM, explique pourquoi les acquisitions doivent se faire dans la discrétion: « Il y a quelques années une oeuvre capitale de Barnett Newman a été détruite dans un musée allemand par un acte de vandalisme, consécutif à la publication dans la presse du prix d’acquisition du tableau. » Excès de pouvoir.

Fred Forest ne se contente pas de cette victoire, et demande le prix de toutes les oeuvres achetées par le MNAM depuis 1985. Le musée refuse. L’artiste saisit alors le tribunal administratif. Le musée invoque un article de la loi de 1978 qui stipule qu’une administration peut refuser cette demande dans le cas où la « consultation ou la communication porterait atteinte au secret en matière industrielle et commerciale ». Le tribunal administratif balaie l’argument et annule, pour excès de pouvoir le refus du musée dans un jugement du 7 juillet 1995.

Inquiet le Centre Georges-Pompidou demande aujourd’hui au Conseil d’Etat de casser cette décision et développe ses arguments: un arrêté du ministère de la culture de 1980 stipule que « les documents relatifs à l’acquisition à titre onéreux ou à la commande d’oeuvres et d’objets d’art » peuvent ne pas être communiqués.

En fait, les musées avouent acheter « à des prix priviliégiés ». Divulguer leurs transactions pourrait déstabiliser un marché de l’art mal en point. « Le MNAM achète souvent trop cher, non pas au meilleur moment, mais au plus fort de la cote, réplique Fred Forest. Publier les prix l’inciterait à se sentir plus responsable. Transparence oblige, l’artiste a ouvert sur Internet un site consacré à ce procès. Le jugement du Conseil d’Etat interviendra le 17 février.

Lors de l’audience du 15 janvier le Commissaire du gouvernement, tout en rejetant nombre d’arguments du Centre Georges -Pompidou a mis en avant les « spécificités du marché de l’art contemporain, où, d’autre part, le marché est particulièrement sensible aux stratégies d’achat des opérateurs publics ». D’où sa conclusion, clairement en faveur du musée: « Cette fragilité des cours, cette volatilité du marché par rapport aux initiatives des musées nous incite à préserver au titre du secret commercial la confidentialité des transactions »

Michel Guérin

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