1 - DE QUOI L'ART d'AUJOURD'HUI DOIT-IL S'INSPIRER ?

Une réflexion sur l'esthétique au seuil du XXIème siècle ne peut pas faire l'impasse sur des questions aussi fondamentales et aussi brûlantes que celles que nous avons esquissées ici, sans perdre du même coup sa pertinence, son intérêt, sa crédibilité. Certes, pour mener à bien une telle analyse, il est utile, à un moment ou à un autre, de se référer à certaines données philosophiques et historiques incontournables. Toutefois, on ne saurait se satisfaire d'une circulation purement tautologique des acquis de la pensée, une circulation qui ne prenne jamais la peine de confronter les attendus historiques de base à une connaissance en devenir, qui ne prenne pas en compte les mutations affectant nos modes de faire, de comprendre, de sentir, qui opère dans la méconnaissance ou le mépris des concepts fondamentaux qui, après avoir bouleversé le champ de la connaissance scientifique au XXème siècle, nous introduisent au quotidien dans ce que l'on appelle les "techno-sciences" et la "techno-culture". L'art ne peut être un art d'aujourd'hui que s'il intègre étroitement cette culture au savoir et aux pratiques spécifiques qui sont les siennes. En marge des péripéties du marché et des idéologies qu'elles engendrent, en marge des querelles qu'elles suscitent, il revient à l'artiste la responsabilité de participer à un effort d'élucidation et de compréhension de la situation singulière dans laquelle il se trouve, en vue d'élaborer de nouvelles grilles de lecture et de mettre au point des concepts permettant de jeter les bases de ce que nous pourrions, tout simplement et très prosaïquement, dénommer un art actuel... un art en phase avec son époque, ici et maintenant !

Les alternances et les configurations de l'imaginaire sont profondément enracinées dans la technique. Elles en dépendent étroitement. Toute vision artistique s'inscrit dans un ordre nécessaire lié à la logique intrinsèque des techniques, des matériaux et des supports. L'histoire des arts est directement liée à celle des moyens techniques. L'émergence de ces moyens, leurs possibilités spécifiques, leurs capacités multiformes, leur influence réciproque, les uns sur les autres, témoignent à travers l'histoire de périodes d'apogée ou de décadence.
Toute nouvelle technique transforme les conditions d'utilisation des techniques précédentes et, en les replaçant dans un nouveau contexte, les force à se transformer, à se renouveler, éventuellement à péricliter. Toute nouvelle technique donne lieu à de nouveaux processus formels et, par conséquent, ouvre une série de possibilités que les artistes sont amenés à explorer, à parcourir, puis à épuiser. La nature, le sens, voire la "qualité" de l'œuvre d'un artiste, sont toujours conditionnés par le moment dans lequel il travaille et il crée. C'est à partir de ces présupposés que l'on doit chercher à comprendre la situation de l'art à l'époque de l'irruption généralisée des technologies.

Les expérimentations et les recherches sur la spécificité de chaque média ont pour fonction de dévoiler les nouveaux signifiants introduits par la technologie. Les "chercheurs" de l'art, c'est-à-dire "les artistes d'avant-garde" représentatifs de notre époque, nous avertissent que la "néo-technique" transforme les configurations de l'imaginaire. Ces mêmes artistes se donnent pour objectifs d'élaborer des modèles de comportement épistémologiques et existentiels, éléments qui constituent, en quelque sorte, de véritables instruments anthropologiques de prospective. Leur rôle consiste, aujourd'hui comme hier, à conformer les modes et les fonctions de l'imaginaire à un nouveau moment anthropologique, introduit par les technologies. Durant ces phases intermédiaires, les principes de créativité, de subjectivité, d'expressivité, sont en crise.
Les technologies électroniques ont la possibilité fonctionnelle d'agir comme un dispositif de contact à distance, c'est-à-dire de modifier fondamentalement les modes de présence. Par exemple, un concert interactif où les groupes instrumentaux réagissent les uns par rapport aux autres grâce à un dispositif de visioconférence constitue un événement esthétique de type nouveau pour lequel la notion de "reproductivité" doit être redéfinie ou abandonnée. Il en va de même pour toutes les opérations esthétiques qui utilisent l'interactivité de type informatique. La notion de mémoire est destinée à déchoir. La "présentation" est destinée à se substituer à la représentation. La reproductibilité électronique, reproductibilité en temps réel où émerge une sorte de réalité électronique "vivante", produit des événements "transmédiaux", sans lieux définis. C'est pourquoi la tâche à laquelle nous sommes confrontés ne consiste peut-être plus à redéfinir uniquement le sens de l'esthétique, mais aussi celui de l'ontologie contemporaine.
Les techniques électriques, électroniques, informatiques, nous ont introduits dans cette société de
communication, se substituant désormais aux sociétés dites post-industrielles de consommation. Ces techniques sont déjà au cœur des changements intervenus dans la vie sociale, modifiant non seulement notre environnement physique, mais aussi nos propres représentations mentales. Comment l'art lui-même, dans ce contexte, pourrait-il rester figé dans des théories, des formes, des pratiques immuables ? Electricité, électronique, informatique, offrent aux artistes de nouveaux instruments de création qui vont permettre d'élaborer des formes inédites. Mais il faut bien prendre conscience que ces instruments changent en même temps notre façon de penser, de voir, de sentir.
Les apparitions successives au cours des âges des techniques de transformation des matériaux, puis des techniques de maîtrise de l'énergie, et maintenant des techniques de l'information, ont engagé successivement l'être humain dans diverses formes d'expression. Nous nous trouvons placés aujourd'hui, historiquement, au seuil d'une nouvelle ère, où le concept même d'art doit en fait être redéfini. Il revient aux artistes d'en décider. Les théoriciens, retranchés derrière leurs références historiques, pourront bien continuer à bavarder. C'est à nous qu'il appartient en priorité de décider, et nous déciderons !

L'art a toujours existé d'abord par la grâce et la volonté de ceux qui le font ! Nous mettrons donc en œuvre l'art actuel, un art de l'ici et du maintenant. Une certaine notion d"art en soi" qui prévalait est remise en question. L'artiste de la
communication réintroduit dans sa fonction anthropologique originelle l'esthétique comme système de signes, de symboles et d'actions, tandis que "le numérique entraîne une recomposition de l'économie générale des signes.
L'artiste est un témoin privilégié engagé comme "acteur" dans l'aventure d'un moment historique donné dont le décryptage n'est pas encore possible, et pour cause, un décryptage que la lecture à travers les grilles de l'histoire de l'art ne suffira pas à rendre transparent, si ces grilles ne tiennent pas compte, au-delà de l'art, de toutes les données de la situation complexe à l'extrême qui caractérise notre monde actuel. La curiosité de l'artiste de la
communication pour le domaine des sciences et des technologies a toujours nourri sa réflexion, déterminé et enrichi ses pratiques, sans lui faire perdre de vue pour autant que son terrain spécifique d'artiste reste en priorité celui du symbolique.

Il est nécessaire de marquer maintenant la distinction entre les rôles respectifs du scientifique et de l'artiste. La confusion entretenue doit être rapidement dissipée. Le rôle de l'artiste consiste à s'approprier, voire à "détourner", les nouveaux instruments de connaissance, de représentation, d'action, pour tenter, au travers de langages inédits, d'élargir les horizons de notre perception, de notre sensibilité, de notre conscience critique, éthique et spirituelle. Le domaine du scientifique est plutôt celui du savoir et de la connaissance. La distinction ne s'établit pas tant en termes de capacité créative et d'imagination que de finalité, de méthodes, de pratiques intrinsèques. Pour le scientifique, il s'agit d'abord d'élaborer des systèmes de connaissance et non pas des "objets" de plaisir... à partager. Pour le scientifique, le "je" est mis en sourdine, entre parenthèses; chez l'artiste, il sera plutôt exacerbé. L'art est expression et provocation pour donner à voir, pour donner à sentir. Les finalités de l'art et des sciences, certes se recoupent, mais chacune d'elles reste dans son propre sillon. Les mêmes outils (l'ordinateur aujourd'hui) suivent et servent des buts spécifiques et distincts. En proposant une réflexion sur le temps et sur l'espace qui ne s'effectue pas à partir de théories abstraites, les artistes de l'Esthétique de la Communication tentent de nous faire saisir des faits immanents par les dispositifs qu'ils imaginent, faits dans lesquels ils nous impliquent directement, s'efforçant, dans une situation d'expérimentation interactive, de mettre en évidence notre rapport à la fois existentiel et symbolique au monde. Alors que la progression des connaissances scientifiques fait vaciller nos certitudes les mieux établies, ces failles ouvrent aux artistes l'opportunité de pratiquer une brèche dans les conventions de la représentation, ce qui les engage sur la voie de phénomènes "extra-temporels" qui sont la vraie problématique de notre époque. Force nous est de constater, par ailleurs, que l'ensemble des mutations, induites au quotidien par les systèmes médiatiques et notre environnement électronique, réorganise à notre insu l'ensemble de nos représentations esthétiques. A nous, donc, dans notre pratique artistique d'en tirer les enseignements... Une esthétique, dont l'objet se situe "dans la relation", hors du tangible, hors du visible, dans des niveaux de l'infra-perception. Les formes d'expression deviennent autre chose qu'un art à voir ou à entendre, un art de nature proprioceptive. Les nouveaux réajustements de l'homme dans sa relation au temps et à l'espace modifient notre présence au monde et induisent des modes de représentation nécessairement inédits, présence à distance, action à distance, élaboration d'une conscience planétaire qui réactualise paradoxalement dans l'inconscient collectif les mythes les plus anciens, la dimension du sacré, la notion du magique et du merveilleux. L'abolition des distances et des barrières physiques ressource nos créations dans la saisie et la perception esthétique du temps réel. Les rites du chaman trouvent leurs correspondances dans les procédures télématiques, procédures qui, selon Pierre Lévy, ouvrent la voie à une nouvelle forme de "relationnel", réconciliant l'individuel avec le collectif, laissant entrevoir l'avènement d'une "intelligence" collective, qu'il nomme "intelligence distribuée".
Notre plus grave erreur serait de penser qu'il n'existe qu'une seule réalité. En rendant visible l'invisible, les artistes de toutes les époques nous ont déjà montré que, derrière le monde des apparences, il existe une multitude de mondes virtuels... des mondes auxquels la force de leur intuition et de leur talent a donné corps, a donné existence, vers lesquels elle a ouvert une fenêtre supplémentaire sur la façon de "voir" la réalité. Depuis un quart de siècle, la pensée scientifique elle-même nous a familiarisé avec cette idée que la réalité n'est qu'une peau sous laquelle se superposent à l'infini d'autres niveaux de réalité. Appelés à envahir notre univers quotidien, les instruments technologiques modifient notre perception de l'univers en nous livrant les clefs d'accès à d'autres formes de réel. La diffusion auprès du grand public de dispositifs de visualisation et d'interaction multisensoriels va plonger les individus dans des environnements "virtuels" ouvrant de nouveaux champs d'expériences aux scientifiques, aux philosophes et, bien entendu, aux artistes.
Le mérite de ceux-ci, précisément, a toujours consisté à nous inviter à jeter sur le monde un regard "autre", un regard différent et soupçonneux, d'une part, en nous faisant douter de nos certitudes les mieux établies, d'autre part, en substituant une réalité à une autre, et en affirmant de nouveaux codes de représentation.
Certes, nous admettons plus facilement aujourd'hui que l'interprétation du monde est directement liée à un savoir donné, à un moment donné, à des conditionnements socio-culturels dont dépendent étroitement nos représentations mentales. Le statut attribué à la notion de "réalité" est toujours défini par des déterminations liées à un moment précis de l'histoire et du savoir. Ce moment est vécu par les contemporains comme une sorte d'élan, un élan suspendu et immobile dans le temps, illusion d'une plage de stabilité, qui apparaît d'une façon trompeuse comme un arrêt sur image. Souvent dans leur présent, les hommes, à leur échelle, sont ancrés dans des savoirs et des certitudes que seuls des individus de la trempe de Galilée ont l'impertinence de remettre en cause quelque-fois... au péril même de leur vie. Depuis le premier homme, nous n'avons jamais cessé de passer dans le développement de l'aventure humaine par des "virtuels" successifs qui se sont ancrés comme "réalités", des virtuels qui nous ont menés jusqu'à nos jours et qui se sont convertis peu à peu en "réalités" d'évidence bien tangibles. Depuis l'invention de la roue, ce qui est peut-être en train de changer avec la multiplication exponentielle des machines électriques et informatiques, c'est que cette accélération des moyens commence à rendre visible le mouvement lui-même, l'image arrêtée de la connaissance n'étant qu'un leurre inhérent aux limites de nos perceptions. Les machines électroniques qui possèdent d'autres capacités d'évaluation du réel modifient nos propres schémas mentaux. L'image de synthèse change notre relation au monde en nous donnant la possibilité d'intervenir directement dans des mondes virtuels. Dans les environnements virtuels que nous pouvons déjà expérimenter, l'impression de déplacement physique est donnée par la conjonction de deux stimuli sensoriels, l'un reposant sur une vision stéréoscopique totale et l'autre sur une sensation de corrélation musculaire. La relation entre l'espace virtuel constitué par l'image de synthèse et notre propre corps s'établit à l'aide de capteurs créant une hybridation intime entre le corps et l'espace virtuel dans lequel nous sommes, pour ainsi dire, immergés. Ces prolongements électroniques qui nous donnent à voir et à toucher l'immatériel d'une façon de plus en plus "réelle" construisent autour de nous un nouvel espace, un espace dans lequel la pratique artistique va pouvoir éprouver l'expérimentation d'un champ nouveau pour produire de nouveaux modèles, des modèles toujours nécessaires au renouvellement du plaisir esthétique. La notion d'espace, que l'on croyait si évidente, est en train de se transformer et de s'enrichir d'aspects inédits. L'espace de la
communication que nous vivons désormais au quotidien n'est plus cet espace classique que nous expérimentions hier, mais une forme hybride et symbolique dont la représentation échappe aux critères convenus. La multiplication des moyens de communication, comme environnement permanent, nous place au centre d'un cadre informel qui délimite un espace virtuel dont les frontières sont abstraites. C'est la mise en évidence de ce nouvel espace, son expérimentation, que les artistes du mouvement de l'Esthétique de la Communication, rompant avec la tradition visuelle, s'efforcent de rendre présent à nos sensibilités et à nos consciences. Les changements sensibles de notre perception et de notre rapport au monde qui en découlent dans nos comportements les plus courants requièrent des systèmes de représentations spécifiques et attestent de la naissance d'une esthétique "autre", une esthétique où la notion de relation prime sur le concept d'objet, une esthétique dont la ligne d'horizon se situe au-delà du "visible".

Les représentations que s'efforcent de "figurer" les artistes de l'Esthétique de la Communication sont des représentations qui puisent leurs origines au-delà du réel immédiatement perceptible, au-delà des apparences et des cadres perceptuels habituels. La technologie et ses instruments nous engagent dans une "saisie" du monde où le repère de l'œil perd son sens au profit des sources électroniques d'évaluation. Les représentations informatiques et vidéographiques se substituent à la matérialité des distances avec une telle force qu'elles sont en passe de dissoudre purement et simplement leurs référents.
En l'état actuel des choses, entre des systèmes de représentation qui appartiennent au passé et ceux qui se mettent en place, nous devons nécessairement transiger. Devant la complexité des opérations induites, nous devons souvent déléguer à la machine le soin de gérer cette situation. Aux représentations de type traditionnel, se substitue une approche intermédiaire avec laquelle nous entrons de plain-pied dans l'ère de la simulation. Dans ce contexte, notre corps, rejoignant les mythes les plus ancestraux, peut explorer l'espace sous forme d'une expérience intime, en transgressant les contraintes de nos limites physiques. Sont ainsi mises en cause d'une façon fondamentale les notions de l'espace que nous avons intégrées depuis notre première enfance, pour en découvrir des potentialités nouvelles, riches de conséquences. Ce n'est pas tant qu'entre le vrai et le faux, la réalité et le virtuel, le discernement devienne difficile, c'est tout simplement que ces notions deviennent équivalentes.

Il faut bien admettre que si les finalités scientifiques et artistiques diffèrent et restent fondamentalement spécifiques dans leurs propos respectifs, les outils peuvent être aujourd'hui communs, comme d'ailleurs les conditions d"expérimentation" mises en œuvre. Certains artistes dont la pratique s'effectue par nécessité avec des scientifiques (accès au matériel informatique, assistance technique et recherche d'information) ont tendance quelquefois à se trouver "phagocytés" par cet environnement. La finalité artistique se trouve être alors comme gommée. Les résultats de leurs travaux, aussi intéressants soient-ils au plan de la recherche expérimentale, n'offrent plus néanmoins le caractère minimum qui les garantit comme appartenant encore à la "chose" de l'art comme nous le concevons encore. Notre opinion en tout état de cause est réservée sur des démarches artistiques qui se trouvent être ainsi détournées de leur finalité initiale. En attirant l'attention sur ce point, nous avons en même temps le souci de rester ouvert et attentif à cette évolution, ne disposant pas du recul nécessaire pour juger de pratiques qui échappent aux catégories établies de l'art, mais qui sont riches par contre de "possibles" auxquels nous devons rester très attentifs.

"Si l'essence de l'art ne réside pas dans des qualités esthétiques et donc perceptuelles, mais dans sa structure intentionnelle, l'identité de l'œuvre d'art est toujours éminemment historique, puisqu'elle dépend des spécificités culturelles de l'époque où elle est créée : tout n'est pas possible toujours. L'œuvre d'art n'a d'existence qu'à l'intérieur d'un horizon artistique global, d'un "monde de l'art" qui prédétermine les possibilités qui s'offrent aux artistes d'une époque historique donnée. Le fait que l'œuvre n'est possible que dans un monde de l'art, donc dans l'atmosphère d'une théorie de l'art qui est toujours une réalité partagée, explique aussi pourquoi l'interprétation et l'identifi-cation artistiques possèdent toujours un statut public."

Les protagonistes de l'Esthétique de la Communication ont choisi leur camp. Ils travaillent sur les extraordinaires possibilités qu'offrent les nouvelles technologies et les mobilisent pour réaliser un nouveau type d'expérience artistique adaptée à la sensibilité contemporaine. Ainsi que l'énonce Mario Costa dans son livre Le Sublime Technologique : "L'Esthétique de la Communication ne fabrique pas des objets et ne travaille pas sur les formes, elle thématise l'espace-temps."

Ce que l'artiste de la
communication vise à exprimer à travers ses actions c'est que nous sommes situés au centre d'un processus global d'information et que son fonctionnement complexe place l'individu dans une position inédite où il se voit mis en demeure d'inventer les nouvelles formes de régulation avec son milieu, les nouveaux modèles de représentation d'une "réalité" en crise permanente. Le but des artistes de la communication est donc de nous faire prendre conscience comment le champ du sensible s'en trouve affecté et comment ces nouvelles "formes du sentir" ouvrent de nouvelles voies esthétiques. Comment sont en instance de réalisation des formes de création à la fois interactives et multisensorielles.

L'artiste, en cette fin de siècle, se situe à un moment clef de notre civilisation où les catégories, dont celles de l'art, doivent se repenser et s'appréhender à travers des grilles de lecture nécessairement renouvelées. La fin du linéaire dans la pensée, la généralisation du multimédia conduisent à la "complexité" et à la fin du narratif dans l'art. Sans transition, nous basculons de la "représentation" dans la "présentation", de "l'apparence" dans "l'apparition". Cela veut dire que ce n'est plus le geste, l'objet, l'image qu'il s'agit de fixer, mais le processus même de transformation qu'il faut capter dans ses rythmes et dans ses flux. Du même coup, le statut de l'artiste glisse d'une façon significative de la position d'observateur à celle d'agent "actant" dont l'action transforme notre perception du milieu dans lequel nous sommes immergés. Les Impressionnistes nous apprennent à "voir" et "ressentir" le paysage, les artistes d'aujourd'hui nous apprennent à "conscientiser" notre contexte technologique. Nous ne sommes plus dans la problématique classique de l'art, celle de la contemplation des apparences, mais dans la dynamique du : comment émergent les choses ! C'est notamment le sens qu'introduisent les artistes dont la démarche s'exerce dans la pratique interactive des réseaux, où c'est la notion même d'auteur qui devient questionnable.

Nous sommes confrontés à de nouveaux apprentissages de l'espace où l'art se révèle soudain comme un instrument d'adaptation inventive, pour nous aider à faire face à des situations inédites. Notre rapport au monde ne sera jamais plus le même depuis que des techniques comme le numérique, l'intelligence artificielle, la vie artificielle, la révolution des
communications, ont fait irruption dans notre vie. Aux artistes, chacun à sa manière, de reformuler les questions de toujours et d'en tirer les enseignements pour demain.